Destination.Ailleurs

A la lettre L,



Je voulais écrire sur la femme enceinte que j'ai vu. Sur ma cousine et mon cousin. Sur une reflexion " c'est le bordel, chez vous ". Sur notre séparation. Sur notre distance. Des citations par centaines, aussi. Le vide présent. Les certitudes cassantes. " Cherche pas, cherche pas, cherche PAS! ". Sur ma vision de moi. Je suis pas la fille des vidéos, des photos, des mots écrits. En vrai. En vrai, je suis.. étrangement différente. Mon regard est différent. Je me trouve jolie. Sur les vidéos, je ne le suis pas. Sur les photos, je ne le suis pas. Dans mes mots, je l'ai été. Ne le suis plus. Respire. 

C'est A. qui a dit çà. Alors que ma cousine m'appelait, appelait ma soeur. Que ma soeur criait d'en bas, une histoire de quai et de train. Dis lui de m'appeler! C'est A. qui a dit çà avec un sourire tout de travers alors qu'on s'affairait à ranger l'appart. Qui à la vaisselle, qui au linge propre, qui au rangement des babioles. Il était au milieu de la ruche et il a dit çà.

C'est le bordel chez vous.

çà ne tenait à rien qu'un sms.
" Dis, tu fais quelque chose ce soir ? Et AS ? "
" On fait rien. Tu veux venir ? "
" Je veux venir "

Les plans galère pour trouver un train, sortir de la gare, choisir un lieu de rendez vous, un lieu de rattrapage. Ah nan mais je vais à Paris avec une amie là. Tu te souviens de comment on fait et où çà se trouve ? Les appels à l'arrachée " où c'est que je descends déjà ?! J'prends quoi comme billet ?! Argh, c'est toi qui l'avait fait la dernière fois !! " La copine qui rigole à l'arrière plan. Montparnasse et ses voyageurs. Ces trains Conserve d'une autre ère.

J'ai failli aller sur Paris aussi. J'ai eu envie brusquement. Y'avait le Trocadéro et Lady Gaga. Y'avait la grève aussi. Le temps que je calcule mes trajets, mes correspondances et mes temps de transport, le train de l'heure était passé. Tant pis.
Remarque très importante à l'avenir : Il faut que je me motive pour me doucher et me maquiller tous les matins sauf le dimanche.
Pour parer à toute éventualité. Être prête en deux secondes et sauter dans un train pour une flashmob'. Un ciné ou une réunion inconnue où j'ai pas le droit de me défiler.

Mais les grèves ont pas que du mauvais. Mon cousin s'est retrouvé sur Paris, lui aussi. Chez la grand mère, chez qui aussi allaient mes parents. Ils s'y sont croisés. Ils se sont ramenés tous ensemble. Oh oui, ramenez le aussi!

Et A. au milieu de ce monde. Terrible moment de solitude. J'avais presque mal pour lui. Il est gentil, A. Terriblement prétentieux mais gentil. Et gêné. Pour le coup.

Ils sont partis très vite. Et se sont retrouvés la cousine et le cousin avec la cousine et le cousin. Des histoires de voiture, de jeux vidéos. Des secrets lancés au milieu de silences assourdissants. Et une ambiance très rare. Un truc sur le pouce. Typiquement ce que je veux pour le reste de ma vie.
Tu viens et tu ne te poses pas de question. Allez, viens.

Et quelques mots. Des morceaux de vie qu'elle m'a racontée avec le sourire et une innocence impressionnante.
Des histoires d'amis qui font le tour de l'Europe chaque été. Des vacances entre amis, en Corse, en Espagne. Dans le Sud de la France.
Des histoires d'amis aux maisons de vacances immenses. Des histoires de. Vies.
Différente de la mienne. Le genre de vie que j'aimerai vivre, que je crève de vivre.
Qu'ils vivent avec leur insouciance typique. Avec l'insouciance qu'il faudrait à tout gamin.
Et elle souriait en me racontant çà. Je me suis cassée la gueule derrière le sourire que je lui renvoyais.
J'ai pensé à toi. A tout. A rien. Ce rien qui nous caractérise tellement bien.
J'ai dit. J'ai lancé " ouais, c'est la vie dont je rêve, çà "
C'est sorti d'un coup. Elle s'est arrêté, s'est tortillée sur mon lit. A souri, encore.
Et a continué après que j'ai ri un peu. Ajouté un " Surtout, profite. Profite à fond ".
Surtout, surtout que moi, je sais ce que çà fait de ne pas vivre ce genre de choses.

Cet été, çà sera la Grèce. çà sera Mykonos et Santorin.

On a parlé de la cousine qui criait naufrage à Lyon. Le manque de nouvelles, les inquiétudes.
Les déceptions.

Et c'était trop con comme soirée. Un truc entamé le jour même qui s'est terminé vers une heure du matin, en regardant la cousine fouiller son sac pendant dix minutes sur le pas de sa porte. Le fou rire qui s'est ensuivi. Le sms qui dit " j'ai passé une super soirée ".

Mon cousin, il est beau. Non, pas "beau beau". Il est beau. Je me suis toujours dit que je voulais un garçon comme lui, pour "plus tard".

Non, je suis pas amoureuse de mon cousin. Mais si je pouvais le faire, je mettrai volontiers toute ma grande carcasse contre sa grande carcasse. Un petit moment, pour continuer quelques années encore. Mais on est trop loin maintenant. Paumés à des années lumières. Et jamais on ne pourra trop recoller les morceaux. Jamais, cherche pas.

On pourrait se faire un truc entre cousines, cette année, tu crois pas ? Au moins toutes les trois. Et voir si la lyonnaise arrive à se joindre à nous. 

Je garde l'idée.

Mais en fait, .. C'est le bordel chez vous.
C'est valable tout le temps. Jamais personne ne connait les horaires de l'autre. Jamais personne n'est à la maison. Ce sont les chaises musicales. Un roulement incessant. Et c'est çà dont je ne me suis jamais rendu compte avant. C'est toujours le bordel chez nous. Toujours.
Que ce soit le linge ou la table à repasser dans le salon. Que ce soit les clés qui quittent le panier à tour de bras sans qu'on sache très bien qui a qui et qui est où. Que ce soit cette impossibilité de travailler le samedi.
Soit on ne peut vivre ensemble. Soit.. on ne peut pas vivre ensemble. Des étrangers à l'hôtel.
Quoique je me retrouve une complicité étrange avec mon père.
On est jamais content de ce que l'on a. On voit toujours chez le voisin quelque chose de mieux.
Souvent, c'est aussi sordide sous les couches de bien être mensonger.
Et.. à chacun sa recette, de toute manière.


La femme enceinte, elle était magnifique. Je la dévorais des yeux, la bouche amère. Elle était belle, belle, belle.
Elle avait mal aussi. Je n'ai pas vu tout de suite qu'elle était enceinte. C'est quand elle s'est assise juste en face de moi que j'ai vu son ventre rebondi et étrange. Elle avait mal. Se tenait à deux mains. J'étais inquiète et complètement envoûtée. Je n'osais lui adresser la parole. Alors je la regardais encore et encore. C'est bien la première fois que je fixe une femme ainsi. J'aime bien. C'est elle qui m'a adressé la parole. J'étais sèche, un peu mal à l'aise. De Gaulle, c'est où çà? Le mail, vous savez. Ah oui! à côté de la poste, c'est çà ? Oui.. sourire. Alors oui, il y va bien ce bus.
Mon sourire a pas voulu sortir. J'étais glaciale. Maussade. Complètement à l'envers de ce que je ressentais.
Pfff.

Je ne suis jamais moi. Je suis toujours à côté.

Et pourtant, quand elle est descendue, elle m'a remerciée et j'ai enfin pu être "humaine". Lui sourire et lui souhaiter une bonne journée.


Les certitudes cassantes, ce sont les vieux démons qui reviennent. Le retour de ma laideur.


" J'aimerais que quelqu'un m'aime "
Pas l'amour d'une mère ou d'une soeur. L'autre. Celui qui porte la majuscule. Amour.
L'autre certitude, c'est que je ne le connaitrai jamais. C'est con. Peut être.
Mais c'est imprimé. J'espère tout le temps. Je croise des regards.

Avant, je me croyais jolie dans leurs regards. Et finalement, je suis juste.. moche.
Quand je me croise dans les boutiques de journaux, je baisse les yeux. J'ai envie de m'enfoncer dans le sol.
Soustraire mon visage au paysage urbain.

La fatigue y est peut être pour beaucoup.

J'espère tout le temps. Je rêve de mariage, je rêve dans les films.
Je m'imagine à la place des femmes dans les couples que je croise.
Je me pose plein de questions.

Ce sont quoi les sensations ? Une main étrangère sur toi ? Des lèvres ? Une étreinte ?

Je suis vide. Vide de contacts, vide de sentiments. Vide d'attentions, vide d'importance.
Je me maintiens ici par espoir. L'espoir con qui dit chaque matin " Allez, ma fille, espère. Aujourd'hui, tu sais pas ce qui va se passer ".
En général, il ne se passe rien.



Oh, et ce garçon dans le train, cet après midi.
Je lisais Gavalda et j'ai levé les yeux. Il était assis, son casque sur les oreilles, en face de moi.
Une femme lui a mis un papier sous le nez. Sa surprise était amusante. Il était embêté, n'a pas su renseigner la dame.
Je l'ai surement trop regardé parce qu'en le voyant, je me suis souvenue de T. Il lui ressemblait un peu.
Tu es "folle" quand tu commences à rire toute seule. Le livre ne m'aidait pas. Lui non plus.
Je n'ai pas détourné les yeux assez vite. En général, je suis toujours très douée pour fuir.
On s'est vu, une infime seconde. Et puis encore une autre. Encore une autre.
Plus longtemps la fois d'après. Et je continuais à lire mon livre.
Et je doutais. C'est lui, pas lui ? T'imagines, on se rencontre par hasard pour la première fois, dans le train qui va même pas à son terminus ?
Mon voisin mettait son pied sur mon sac, involontairement. il essayait de faire attention. Mais non.
J'ai croisé le regard de mon Doute dans un habile jeu de miroir. Dans le tunnel, tout le monde est visible si tu cherches le bon miroir.
Et on s'est revu. En miroir, en vrai.
T'es qui, bon sang ? Il revenait à la charge. Moi aussi.
Je savais pas quoi penser. Je voulais pas penser à mon visage. A tous les trucs qui cassent en deux.
Alors, je me suis levée à la sortie du tunnel. Mon voisin s'est plaqué à son siège, a tourné son corps dans l'allée, m'a regardé, m'a laissé passer. Bon voyage.
Je n'ai pas cherché une dernière fois, le regard de mon Doute. J'ai filé.
Comme d'habitude.
Et en me plaquant contre le paysage à la fenêtre, j'ai surpris le regard de mon voisin.
Qu'est ce qu'il pouvait bien penser en me regardant ainsi? 

C'est toujours l'éternelle question.
Pourquoi il me regarde ? Je lui plais ? Non ? 
Il s'en fout ?
Pitié.

C'est qu'une question de réseau. De relations. De hasards.

Et de solitude accrochée aux semelles.
Et des fois, c'est impressionnant. La Solitude.


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